Histoire du développement de la boîte noire au Japon

Kunihiro Katasé,
pionnier du développement de la boîte noire au Japon 
Traduit du japonais par Fumiko Lamant

J’ai beaucoup appris de l’Association nationale japonaise des familles de victimes d’accidents de la route, à laquelle j’ai adhéré. En 2013, cette association a cessé ses activités, mais c’est lorsqu’elle fonctionnait encore que j’ai eu l’occasion de rencontrer Jean-Yves Lamant et que nous avons commencé à collaborer avec la Ligue contre la violence routière, laquelle compte désormais trente ans d’activité. J’adresse à la Ligue mes félicitations pour cet anniversaire. Dans le même temps, j’espère que viendra le jour où ces activités ne seront plus nécessaires.
En ce qui me concerne, j’ai été impliqué dans le développement de la boîte noire dans les véhicules au Japon, dont je vais présenter quelques détails ci-après. La technologie développée consiste en un équipement attaché au rétroviseur lui-même, collé sur le pare-brise avant de la voiture et qui enregistre, au moment de l’accident, les images vidéo du contexte, la vitesse ainsi que d’autres paramètres liés au choc.

Les enquêtes d’accidents au Japon
Elles sont exclusivement effectuées par la section de la police chargée de la circulation et se déroulent comme suit:
a. enquête sur l’état des dommages des parties impliquées directement dans le choc, les lieux des chocs, la peinture des véhicules ou les vêtements des victimes;
b. enquête sur les traces éventuelles de freinage, l’état de la route, les débris ou les pièces endommagées;
c. audition des parties impliquées sur les circonstances de l’accident (tout au moins la partie survivante si l’autre partie est décédée);
d. audition des témoins de l’accident, s’ils existent.

Les difficultés rencontrées sont les suivantes:
e. dans le cas de véhicules récents (en raison des diverses technologies de sécurité et de peinture qui laissent peu de traces de freinage, même en cas de choc), il ne reste presque plus de preuves liées aux éclats de peinture sur le terrain;
f. dans le cas où une des parties de l’accident décède, la parole des parties survivantes est souvent privilégiée… puisque les personnes décédées ne peuvent plus se défendre;
g. les témoins ne peuvent pas mémoriser dans le détail toutes les circonstances de l’accident et les témoignages sont souvent peu clairs.

Les difficultés rencontrées par les victimes et leurs familles sont les suivantes:
h. les familles de victimes ont une volonté très forte de comprendre comment les membres de leur famille sont décédés ou ont été gravement blessés dans l’accident qui les concerne. Elles sont souvent insatisfaites des résultats des enquêtes de police, qui manquent de précision. Elles les mettent parfois en doute et sont amenées à faire de gros efforts pour établir la vérité en demandant à des experts automobiles indépendants de faire leur propre enquête et de chercher des témoins.
En parallèle au procès au civil, l’enquête indépendante permet de découvrir des informations, d’obtenir des témoignages fables, et il arrive que les résultats soient totalement opposés aux résultats de l’enquête de police.

Des circonstances dramatiques
Mon fls avait 19 ans lorsqu’il a été tué dans un accident de voiture en 1994. Il conduisait une mobylette et, alors qu’il était arrêté à un carrefour pour cause de feu rouge, un gros camion-benne l’a percuté par l’arrière, juste après que le feu est passé au vert. Le conducteur du camion-benne a reconnu auprès de la police qu’il ne regardait pas vraiment dans l’axe de la route et qu’il n’avait pas remarqué la présence de la mobylette. De plus, la police a clairement établi que le point d’impact de la mobylette sur le camion-benne était en partie centrale de l’avant du camion-benne.

Toutefois, un témoin de cet accident a affirmé que la mobylette avait dépassé le camion-benne. Comme le conducteur avait déclaré qu’il n’avait pas bien vu ce que se passait devant son véhicule, il a alors été dit que la cause de l’accident était liée au fait que mon fls avait doublé le camion-benne et s’était porté devant lui. Cependant, le témoin disait ne se rappeler de rien d’autre que la
mobylette, rien sur les autres véhicules, rien sur l’environnement de la route ni sur le positionnement relatif du camion-benne et de la mobylette. Je n’ai donc pas été du tout convaincu par ce discours imprécis, pas plus que par les explications de la police qui avançaient que, du fait du dépassement, la mobylette était très proche du camion-benne.

Environ une semaine après l’accident, j’ai cherché d’autres témoins dans le voisinage du lieu où il s’était produit, mais je n’ai trouvé personne. Je me suis demandé si quelqu’un n’avait pas éventuellement filmé les circonstances de l’accident. En parallèle du procès au civil, j’ai demandé à un expert automobile de faire son enquête. Lors des nombreuses discussions que j’ai eues avec l’avocat que j’avais sollicité, j’ai appris que, lors des procès, il était de plus en plus difficile de valoriser comme preuves les résultats d’expertise. L’expert a clairement dit qu’il serait bon qu’il y ait une trace filmée de l’accident. Comme je pensais exactement la même chose, je me suis mis à développer cette technologie.

Le développement de la technologie « boîte noire »
Le principe de base était l’adaptation de la boîte noire des avions aux véhicules terrestres. Même en cas de destruction complète des véhicules, il s’agit d’enregistrer des images, la vitesse et d’autres paramètres liés à l’accident afin de pouvoir les analyser et expliquer les circonstances de l’accident.
À l’époque, je travaillais dans le secteur électronique d’une société de matériel électrique et j’ai décidé d’approfondir mon expérience dans le domaine des caméras vidéo. Après discussion avec un cabinet de design, nous avons réalisé un prototype. Le principe de fonctionnement était d’avoir un capteur sensible aux chocs, de mémoriser les mesures ou les images avant et après l’accident à raison de six à huit mesures ou images par seconde, d’avoir en même temps une mesure quantitative de la vitesse et de l’intensité du choc.
Après les tests sur le prototype, la production en série a été lancée et les sociétés de taxis de Tokyo l’ont utilisé, obtenant des résultats inespérés. Comme la vidéo enregistre non seulement en cas d’accident mais aussi pendant toute la période
de conduite normale, suivie d’analyses des vidéos en groupe, le résultat a été une baisse de 70 % des accidents mortels et des blessés graves. Bien sûr, avec ces enregistrements vidéos, on peut éclaircir les causes d’accident, savoir pour qui était le feu vert, identifier les dépassements dangereux avec insertion brutale dans la file, et les parties impliquées peuvent se convaincre des résultats de l’analyse réalisée grâce à cette technologie. 

Au Japon, environ 70 % environ des sociétés de taxi et des véhicules d’entreprises sont équipées de cette technologie de boîte noire, et les enregistrements sont maintenant utilisés par l’autorité judiciaire dans les procès.
À l’origine, ces matériels coûtaient entre 300 et 600 euros, alors qu’ils coûtent désormais entre 30 et 100 euros. Nous nous battons à l’heure actuelle pour que 100 % des véhicules soient équipés de boîtes noires.
Je souhaite beaucoup de succès aux activités de la Ligue contre la violence routière française et je suis reconnaissant à Monsieur Lamant d’avoir mis en relation la Ligue et le Japon

État des lieux

Objectif -50% de tués en 2027 vs 2017 :

Avec la mobilisation de tous, c’est possible !

Le bilan
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