Ces voitures qui polluent (beaucoup) plus que prévu

DieselGate : les méthodes fumeuses de Renault…. et de General Motors

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« Dieselgate » : General Motors visé à son tour par une plainte

Renault, dans le collimateur de la justice, est aujourd’hui parmi ceux qui produisent les voitures les plus polluantes en Europe. Comment la marque a-t-elle pu en arriver là ?

« Aujourd’hui parmi les pires, il y a les Renault qui ont des émissions dix fois supérieures à la limite. Et de l’autre côté, vous avez la dernière génération de Volkswagen qui arrive à passer sous la limite, même en condition de conduite réelle. C’est vraiment l’ironie de l’histoire… »

Cette histoire, Peter Mock la connaît bien. Basé à Berlin, il est le directeur pour l’Europe de l’organisation américaine ICCT, celle par qui le scandale Volkswagen est arrivé en 2015. Deux ans plus tard, le « Volkswagengate » est devenu le « dieselgate« . Tous les constructeurs semblent impliqués. Mais le travail de compilation des centaines de tests effectués en Europe par l’ONG Transport et Environnement le montre : Renault et Fiat sont les mauvais élèves de la classe. Sur les cinq véhicules les plus polluants testés par la « commission Royal » en France, trois sont des Renault.

 

Des technologies dépassées

La marque au losange paie le fait d’avoir délaissé les technologies de dépollution pour investir massivement dans l’électrique, technologie d’avenir, mais qui tarde à décoller. C’est en tout cas l’analyse de nombreux spécialistes du secteur. La députée (PS) Delphine Batho, rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur l’automobile ne dit pas autre chose :

« Les deux stratégies des deux constructeurs français, PSA et Renault, n’ont pas été comparables en matière de traitement des émissions polluantes. Il faut reconnaître que PSA a développé des technologies qui sont aujourd’hui des références. Il est évident que Renault est très en retard, et a fait de mauvais choix technologiques. »

Ce choix porte un nom : piège à oxydes d’azote (Nox Trap en anglais). Cette technologie de post-traitement des émissions polluantes est plus ancienne que le « SCR » (Selective catalytic reduction) développé par PSA ou Volkswagen notamment. « Tous les ingénieurs peuvent confirmer que ce n’est pas possible de se conformer aux normes européennes de pollution avec cette technologie, explique Julia Poliscanova, chargée du dossier chez Transport et Environnement. C’est 30 ou 40% moins efficace que le SCR ». Oui, mais c’est moins cher. De l’ordre de 300€ par voiture. Une somme dans une industrie où les coûts de production sont tirés vers le bas.

Des choix techniques qui pénalisent l’environnement

Renault a aussi opté pour des solutions parfois radicales pour résoudre certains problèmes de mise au point… au détriment des émissions polluantes. Le cas le plus criant concerne l’autre dispositif anti-pollution qu’on appelle la « vanne EGR ». Elle est censée éliminer 85% des NOx dès la sortie du moteur. Mais elle a aussi posé de gros soucis aux techniciens maison. Le patron de l’ingénierie du constructeur, Gaspar Gascon Abellan, l’a admis lorsqu’il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire française :

« On a fait face à énormément de problèmes, qui produisaient des défaillances sur le moteur et des retours clients. On a dû conditionner les critères des réglages de ces moteurs. »

En pratique, le « conditionnement » a consisté à limiter le fonctionnement de cette vanne à une température comprise entre 17 et 35°. Dans les faits, cela signifie qu’en hiver par exemple, ce dispositif essentiel de dépollution ne fonctionne quasiment plus. Un cadre de Renault le confirme dans un mail saisi par les enquêteurs lors d’une perquisition au siège du constructeur en janvier 2016 :

« En roulage quotidien, on sort très vite des conditions dans lesquelles la vanne EGR est opérante. Ce système de dépollution est donc très vite inopérant sur routes, mais il fonctionne pendant les tests. »

Effectivement, les tests sont réalisés à une température compris entre 20 et 30°.

Une interprétation de la réglementation contestable

Pourtant, Gaspar Gascon Abellan l’assure : « en aucun cas on ne respecte pas les normes d’homologation ». Mais de nombreux experts estiment le contraire. Pour Julia Poliscanova, « la réglementation qui dit que les standards de pollution doivent être respectés en utilisation normale du véhicule. 17 degrés c’est une utilisation normale en Europe où la température moyenne est de 9 degrés. »

Renault tente de passer dans une faille de la réglementation européenne. Elle autorise les constructeurs à déconnecter leurs dispositifs antipollution pour protéger le moteur. Renault affirme avoir voulu éviter des problèmes mécaniques en limitant l’utilisation de la vanne EGR. Pour Peter Mock d’ICCT, la marque au losange n’est pas crédible :

D’un point de vue technique, ça n’a aucun sens.

« Nous savons que certains constructeurs font fonctionner cette vanne à basse température donc c’est possible. Ce qui est clair, c’est que les gouvernements ont laissé les constructeurs interpréter la réglementation à leur façon. Mais si vous la lisez en détail, ce type de réglage est illégal, sans aucun doute ! »

Soupçons de « logiciel tricheur »

Mais ce n’est pas tout. Les enquêteurs de la répression des fraudes ont la conviction que Renault a paramétré ses véhicules pour qu’ils soient capables de détecter qu’ils sont en train de passer un test d’homologation. L’avocat de Renault, Philippe Goossens, affirme « qu’il n’existe aucun logiciel truqueur dans les véhicules Renaut ». Mais les analyses réalisées par l’IFPEN ont montré un comportement étrange de certains modèles.

La veille du test, la réglementation prévoit de faire subir au véhicule un premier roulage selon un protocole bien déterminé. Lorsque les Renault testées ont subi ce « pré-conditionnement », les ingénieurs ont observé par la suite une activité très inhabituelle du « piège à NOx » qui avait tendance à effectuer un grand nombre de purges pour être le plus efficace possible lors du test. En revanche, si cette phase préparatoire était légèrement modifiée, le dispositif était nettement moins actif. Du côté de chez Renault, on évoque un possible « bug ». Mais les enquêteurs n’y croient pas. D’autant plus qu’ils ont saisi un autre mail où un cadre de la maison écrit : « un changement de cycle de pré-conditionnement fait augmenter les émissions de NOx de 50%. Hyundai s’est fait piéger pour moins que cela », en référence à un scandale qui avait éclaboussé le constructeur coréen.

La conclusion des enquêteurs, dans le rapport qu’ils ont transmis à la justice, est sans appel :

« La stratégie employée par Renault est pleinement volontaire et a pour objectif de passer avec succès le test d’homologation, tout en limitant l’utilisation des organes de dépollution au strict minimum en dehors des conditions du test. »

Un témoignage accablant venu du passé

Lors de leurs investigations, les enquêteurs ont aussi auditionné un ancien salarié de Renault. Cet ex-metteur au point travaillait dans un centre d’essai dans les années 1990. Ce qu’il leur a raconté laisse penser que ces méthodes ont cours depuis près de 20 ans chez le constructeur :

« Quand je travaillais chez Renault, des véhicules étaient équipés d’un système de détection du test d’homologation. Le principe était de détecter le profil de vitesse du test d’homologation, pour modifier la cartographie d’injection, afin de passer le test de dépollution. »

Ce témoin raconte même une étrange mésaventure :

« Il m’est arrivé, en sortant de mon garage, que le calculateur reconnaisse un passage de test d’homologation, car mon profil de roulage se rapprochait du profil de la norme. Les modifications induisaient alors un manque de puissance, une dégradation de l’agrément, avec des à-coups ou des trous dans l’accélération. »

Renseignements pris, l’homme était tombé dans ce que les ingénieurs appellent un « trompe-cycle ». La voiture avait cru se trouver sur un banc d’homologation et devenait très étrange à conduire !

Un secret de polichinelle

Des voitures paramétrées pour passer les tests, ce n’est pourtant pas une grande nouveauté pour Katia Lefebvre. Cette ancienne journaliste du magazine Auto-Moto, avait, dès 2005, dénoncé cette réalité dans un article très documenté. A l’époque, une source proche des services d’homologation lui avait expliqué la combine bien connue dans le milieu. « Je n’en revenais pas, je me disais que j’avais un scoop ! On sort le papier… et rien, calme plat, aucune reprise, comme si le public n’était pas prêt à entendre cette vérité », raconte-t-elle aujourd’hui, mi amusée, mi amère de voir qu’il a fallu attendre encore 10 ans pour que le scandale éclate.

Dès 2011, pourtant, le commissaire européen en charge de l’environnement, Janez Potocnik, avait été évoqué publiquement, lors d’un discours, l’existence de logiciels tricheurs. Il avait même écrit en ce sens à son homologue chargé de l’industrie, Antonio Tajani. « La décision du commissaire Tajani a été de mettre ça de côté, que la priorité était de répondre à la crise mondiale qui avait frappé le secteur automobile », regrette aujourd’hui l’eurodéputée socialiste Christine Revault d’Allones Bonnefoy.

Les gouvernements ont protégé les constructeurs

Aujourd’hui, il apparaît clairement que certains exécutifs européens ont également protégé leurs constructeurs nationaux. C’est toujours le cas du gouvernement italien qui persiste à affirmer que le groupe Fiat-Chrysler est en règle, alors que certaines investigations ont montré que les dispositifs anti-pollution de la marque se déconnectent au bout de 22 minutes. La raison ? Le test d’homologation dure 20 minutes !

En France, la commission Royal a permis de lever une partie du voile sur les sales méthodes des industriels, et les procédures judiciaires avancent.

Outre Renault, PSA, Volkswagen et Fiat-Chrysler font l’objet d’enquêtes. Mais les vieilles habitudes perdurent… Le 16 janvier 2016, alors que l’on apprend qu’une perquisition vient d’avoir au siège de Renault, les deux ministres en charge du dossier viennent immédiatement éteindre l’incendie devant les caméras. « Il n’y a pas de logiciel de fraude sur la marque Renault », affirme Ségolène Royal. Emmanuel Macron appuie : « il ne s’agit en aucun cas d’une situation comparable à celle de Volkswagen ». Et pourtant, en l’état des investigations, rien ne leur permet d’en être certains. Membre de la commission Royal, Charlotte Lepitre, de France Nature Environnement se souvient d’avoir bondi en les entendant :

« On n’avait pas de certitude à ce moment-là. Les résultats des tests menés de la Commission ne permettaient pas de savoir s’il y avait un logiciel truqueur. Ils montraient plutôt qu’il y avait un problème. »

Les deux ministres auraient donc parlé un peu vite. Dix mois plus tard, alors qu’elle est interpellée par l’eurodéputée Europe Ecologie Les Verts Karima Delli, sur la question du rappel des véhicules polluants, Ségolène Royal réplique qu’il « ne faut pas enfoncer une marque française ». Même si les gouvernements européens ont consenti à quelques avancées réglementaires ces derniers mois, avec l’arrivée prochaine des tests d’homologation en conditions réelles, les vieux réflexes semblent avoir la vie dure…

 

 

 

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